La Marche Royale Saint-Vaast de Daussois et la Trinité de Walcourt : une histoire commune
En juin 2014, la Marche Royale Saint-Vaast de Daussois a célébré un anniversaire particulier. Depuis 200 ans, les Malots (habitants de Daussois) ont l’honneur d’ouvrir la procession dédiée à Notre-Dame de Walcourt le jour de la Trinité. Aujourd’hui multi-centenaires, la compagnie a parcouru un long chemin et a évolué au cours du temps. Quand est-elle apparue ? Pourquoi la compagnie de Daussois a-t-elle le privilège d’ouvrir la procession mariale de Walcourt ? Quelle est son histoire depuis 1814 ?
Daussois (Photo de Marie-Julie Lemaire)
La plus ancienne trace connue d’une escorte armée composée de Malots remonte à la Trinité de 1713. Les archives du Chapitre Collégial de Walcourt nous renseignent que « la Jeunesse de Daussois a accompagné la procession de Notre-Dame de Walcourt ». Pourquoi le terme de « Jeunesse » est-il employé à cette époque ? Ces associations avaient pour objectif de dynamiser la communauté villageoise par l’organisation d’activités culturelles (mise en scène de pièces de théâtre) et récréatives (carnaval, ducasse,…). Aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles se chargent également de la formation d’une escorte armée afin d’encadrer les processions. L’empreinte de ces mouvements dans l’apparition des marches, telles que nous les connaissons aujourd’hui, est encore visible à l’heure actuelle au sein des plus anciennes compagnies d’Entre-Sambre-et-Meuse, par la présence dans leurs rangs d’un drapeau de la Jeunesse, étendard réalisé dans la plupart des cas au cours du XIXe siècle. Daussois ne fait pas exception. Selon André Lépine, des fonds auraient été récoltés du 26 juin 1808 au 23 juillet 1809 « pour l’acquisition d’un drapeau pour la Jeunesse de Daussois »[1]. Est-ce celui que nous voyons toujours lors des sorties de la marche ? Nous ne pouvons l’affirmer puisque nous sommes incapables de dater précisément celui qui défile actuellement.
Nous pouvons nous demander si la Jeunesse locale a participé à la Trinité avant 1713 ? Peut-être, mais rien n’est moins sûr, faute de témoignages plus anciens connus à ce jour. Au cours du XVIIIe et des premières années du XIXe siècle, les Malots escortent la procession de Walcourt à quelques reprises. En effet, les comptes communaux de 1764, 1791, 1811 et 1813 attestent l’achat de poudre, nécessaire aux décharges[2]. Ainsi, il apparaît qu’à cette époque cette participation n’est que périodique. En 1813, la compagnie est composée de 25 hommes, parmi lesquels nous retrouvons les noms de vieilles familles de la localité : Dardenne, Dudart, Gobert, Gobron, Leclercq, Meunier, etc.[3]
Vient ensuite une date clef : 1814. Cette année-là marque la première chute de l’Empire. Les temps sont propices à l’insécurité. Les Russes, que craignait la population, occupent Daussois : un contingent de Cosaques stationne dans le village entre le 9 et le 11 mai[4]. Les réquisitions sont très importantes. Malgré les événements, la procession en l’honneur de Notre-Dame est maintenue, mais les habitants des villages environnants sont peu enclins à sortir de chez eux. Même les Walcouriens ne sont pas réceptifs à la décision du clergé. Seul cinq Malots, habillés de pantalons blancs et d’un sarrau (chemise bleue du quotidien de l’époque), font fi d’un danger potentiel et partent escorter la statue de la Vierge. Par contre, entorse à la tradition, ils ont dû remplacer leurs fusils par des bâtons, les premiers étant interdits. Des cinq, la tradition populaire rapporte que quatre d’entre eux sont chauves et que le dernier s’est fait couper les cheveux pour la circonstance. De ces particularités physiques et de ces faits en est ressorti un quatrain :
« En montant Djerlimpont
Avous nos guètes è nos blancs pantalons
Nos èstons les cins d’Dausseu
Quat’pèlès è y’in tondu. »
L’année suivante, une seule idée traverse l’esprit des habitants de Walcourt : « Honneur à Daussois ». Cela se traduit concrètement par l’octroi de la première place du cortège aux Malots, décision qui est loin de réjouir tout le monde. En effet, ce privilège était jusqu’alors détenu par Silenrieux car une partie du tour processionnel traversait son territoire, via le chemin dit « Tienne du Tour ». À cause de cet affront, les Silenriverains ont cessé de marcher à Walcourt[5], contrairement à la compagnie de Daussois dont la participation est devenue annuelle. Depuis lors, cette dernière n’a jamais manqué une Trinité, hormis durant les deux guerres mondiales, l’organisation de la procession ayant été refusée par l’autorité allemande[6].
Les événements de la Trinité de 1814 seront commémorés en 1864 et en 1914. En marge des célébrations du centenaire, la ville de Walcourt ouvre une souscription afin d’offrir un second drapeau à la compagnie de Daussois, en reconnaissance de sa fidélité[7]. Le quotidien Le pays wallon annonce la cérémonie dans son édition du vendredi 5 juin :
« Daussois :
Pour la 100e fois, la Compagnie militaire de Daussois prendra part à la procession annuelle en l’honneur de Notre-Dame de Walcourt. À cette occasion, l’administration communale [de Walcourt] a pris l’initiative de remettre à la compagnie jubilaire un drapeau offert par souscription publique. Cette cérémonie aura lieu place de l’Hôtel de Ville à 10 heures 30 en présence des Compagnies étrangères. »[8]
Le corps d’office dans les années 1930
En 1964, Walcourt tient cette fois encore à marquer la fidélité des Malots dans leur participation à la Trinité. Pour la circonstance, elle offre deux fanions aux couleurs de la ville (azur et argent, soit bleu et blanc, les couleurs de la Vierge) : le premier pour le peloton des grenadiers (inscriptions : « Aux Grenadiers de Daussois – 1814-1964 – Walcourt » ; les dates sont séparées par un colback qui figure au centre) et le second pour celui des voltigeurs (inscriptions : « Aux Voltigeurs de Daussois – 1814-1964 – Walcourt » ; les dates sont séparées par un shako qui figure au centre). Le fanion des Voltigeurs est actuellement toujours porté par le sergent du groupe. Celui des Grenadiers est quant à lui sorti jusqu’en 1990, année où il a été remplacé par un autre fanion offert par Marie Demaret, cantinière de la Compagnie durant de nombreuses années[9].
En 1989, des festivités sont organisées pour célébrer les 175 ans des événements de 1814. À cette occasion, des délégations des différentes Compagnies de Walcourt défilent dans les rues de Daussois le dimanche du Saint-Sacrement, jour où les Malots effectuent une sortie annuelle dans leur localité. Exceptionnellement, l’hôte devient l’invité.
L’histoire du comité de la marche
En 1960, au moment de l’adhésion à l’Association des Marches Folkloriques d’Entre-Sambre-et-Meuse, un comité est constitué. Il est alors présidé par Robert Delmarche. Avant, l’organisation de la Marche était dévolue au Corps d’office de l’année précédente. Ce dernier devait s’occuper de l’organisation du passage des places, autrement dit de la mise aux enchères des places d’officiers pour un an (le terme « passée » en wallon signifie la mise aux enchères ; nous retrouvons par ailleurs ce mot à Soumoy dans le cadre de la « passée des âmes »). Le tambour-major faisait fonction de commissaire-priseur. De cette époque un élément nous est resté. À l’heure actuelle, lors du passage des places, le président empreinte toujours la canne du tambour-major.
La Marche Saint-Vaast de Daussois a obtenu le titre de Royale en 1980. Six ans plus tard, le trophée des Marches remis par l’AMFESM lui est attribué.
[1] Lépine, A., Aux sources de l’Eau d’Heure, Cerfontaine, 1977, p. 70.
[2] Idem, p. 71.
[3] Ibid.
[4] Idem, p. 95.
[5] Folon, R., Marches militaires et folkloriques d’Entre-Sambre-et-Meuse, Bruxelles, 1976, p. 83.
[6] À noter que le second conflit a fortement ému la population. En 1945, il a été décidé qu’il n’y aurait pas de cantinière, privant ainsi les marcheurs de toute ébriété. Le corps d’office de l’époque avait choisi de marquer une année de deuil, par respect pour ceux qui n’ont pu revenir vivant du conflit et pour d’autres qui ont passé 5 ans dans des camps de prisonniers.
[7] Froment, A., Walcourt et son passé. Histoire. Toponymie, Charleroi-Bruxelles, 1958, p. 83-84.
[8] Le pays wallon du 5 juin 1914, dans Golard, R., Chronique des marches passées, [Gerpinnes], 1985, p. 201.
[9] Le fanion de Marie Demaret a été offert à ce groupe en particulier car l’unique cantinière de la Compagnie de Daussois est attachée aux Grenadiers. Elle a donc fait un don à son peloton « d’attache ». Le dessin de l’étendard a été réalisé par Michel Lecomte.